L'ESS sur le plateau des Millesvaches

Le Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin a pris l’initiative de publier un guide de l’économie sociale et solidaire afin de mieux faire connaître localement « les alternatives économiques qu’elle peut représenter » (p. 3). La présentation de quinze d’entre elles apporte une connaissance de cette autre économie dont la portée dépasse largement le Limousin.

L’ESS : une alternative économique ? Si le point d’interrogation s’avère nécessaire, comme nous l’a rappelé Ph. Frémeaux (2011) dans son enquête, le développement de l’économie sociale et solidaire sur le plateau de Millevaches apporte la preuve que ses expériences, parfois anciennes, peuvent effectivement constituer une alternative. Mieux encore, les quinze expériences présentées dans le guide révèlent à quelles conditions il en va ainsi.

La première condition commune à toutes ces expériences, sans doute nécessaire à défaut d’être suffisante, est leur dimension collective qui trouve son  ancrage sur un territoire. Pour toutes, la commune tisse cet espace économique, social et institutionnel dans lequel leur projet collectif s’enracine (p.35). Leurs auteurs, sans être forcément du cru, deviennent vite alors un acteur collectif de la commune dont l’action se distribue au-delà de leur activité économique. De manière concomitante, ce territoire peut aussi être infra-communal, comme au lieu-dit  « Le Villard » pour l’association d’abord éponyme puis devenue « Les Plateaux Limousins », ou supra-communal, comme la communauté de communes des Portes de Vassivière pour « Le Monde allant vers » ou comme le canton de Sornac pour l’association « Les P’tits bouts ». Mais la commune constitue l’ancrage de base à travers lequel s’affirment ces expériences d’économie sociale et solidaire, celles d’« Ambiance Bois » ou de la « La Navette » à Faux-la-Montagne, celle depuis 1967 de l’ « Association Vieillesse et Handicap » à Chamberet,  celle de l’ « Espace associatif Alain Fauriaux » à Flayat ou, enfin, du « Quartier Rouge » à Felletin. Pour le maire de Faux-la-Montagne, F. Chatoux, cette dimension collective du projet est un gage de réussite : « Nous avons essuyé des échecs dans d’autres projets économiques  mais parce qu’il s’agissait d’abord de projets individuels. Là, la dimension collective est importante et sécurisante : le projet est plus solide » (p. 11). Si la nature collective ne saurait assurer à tout coup la réussite des expériences de l’ESS, elle les démarque de l’entrepreneuriat individuel. C’est là une première marque de son alternative.

De la nature collective de ces expériences enracinées sur leur territoire, il en résulte pour l’économie sociale et solidaire un trait fondamental que toutes ces expériences manifestent : elles se structurent au travers d’une économie partenariale. En effet, chacune d’elles se tisse dans un écheveau serré et selon des périmètres distincts, à la croisée de partenariats publics, privés et associatifs. L’un des acteurs clés de ce tissage porte, sur le plateau de Millevaches, le joli nom de « De Fil en Réseaux », une association basée à Faux-la-Montagne.

Les expériences de l’ESS du plateau de Millevaches dessinent le visage d’une autre économie en réunissant l’une ou l’autre de deux conditions supplémentaires, le « ou » étant plus ou moins inclusif. Elles y révèlent, en effet, un travailler autrement et un produire un autre vivre ensemble.

Le travailler autrement se rencontre dans maints secteurs et s’il fallait le qualifier d’un nom, le choix hésiterait entre la coopération et l’autogestion. De cette gestion coopérative du travail, les formes juridiques variées qu’elle peut prendre, en donnent la couleur : celle d’une société anonyme à participation ouvrière avec « Ambiance Bois », celle d’une Société coopérative ouvrière de production avec « La Navette », d’un Groupement agricole d’exploitation en commun avec « Le champ des possibles », d’une Association avec « l’Atelier », d’une Société coopérative d’intérêt collectif avec « l’Arban ». Ici, la forme juridique de l’ESS abrite une autre philosophie du travail, qu’il s’agisse d’activités dans le bâtiment, la construction, la communication, l’agriculture ou la culture. Le travail ne s’y trouve pas mobilisé ni exploité par des acteurs extérieurs, qui en attendent un profit pour leurs capitaux investis comme dans la firme capitaliste, mais autogéré par ceux qui le font. C’est là une deuxième marque de la nature alternative de l’ESS.

Mais l’autre économie que représentent ces expériences ne se limite pas à une conception du travail autour d’un collectif auto-organisé, elle est aussi une autre manière de produire le vivre ensemble qui l’englobe. Nous entendons par là que les relations entre les acteurs qui offrent des biens ou des services et les acteurs auxquels ces biens et services s’adressent construisent un vivre ensemble local autour de valeurs partagées. L’association « Vieillesse et Handicap », l’ association sociale « Auto école 23 pour tous », la Gaec « Champs Libres », la Scic « Arban »,  la Scop « Chélidoine » avec son théâtre de proximité, l’ « Espace associatif Alain Fauriaux », la ressourcerie « Le Monde allant vers », les associations « Plateaux du Limousin », « Les P’tits Bouts » ou « Quartier Rouge » promeuvent une économie dont les liens entre ceux qui produisent biens et services et ceux qui vivent par, avec et de ces biens et services, sont fait de solidarité, de citoyenneté, de proximité. De l’agriculture au théâtre, en passant par la mobilité ou la vieillesse, les rapports entre l’offre et la demande ne sont pas ceux du marché concurrentiel et anonyme. C’est la troisième marque de la nature alternative des expériences d’économie sociale et solidaire.

Si le guide a choisi le « parti pris de la pratique, plutôt que de rester dans les généralités et la théorie » (p. 6), la lecture des expériences de l’ESS sur le plateau de Millevaches qu’il restitue de manière si vivante, nous offre finalement une belle leçon théorique sur l’ESS.

Hervé Defalvard

Ph. Frémeaux, La nouvelle alternative ? Enquête sur l’économie sociale et solidaire, Paris, Les Petits matins, 2011.