Le guide 2010 de l'ESS par le CIF-OIT : un événement international

Le guide 2010 publié par le CIF-OIT* à l’occasion de sa première Académie sur l’économie sociale et solidaire commence par rappeler l’engagement ancien de l’OIT en faveur de l’ESS puisque, dès 1920, son directeur créa un service dédié aux coopératives. Un engagement qui depuis ne s’est jamais démenti. Toutefois, c’est une nouvelle ambition que l’OIT affirme aujourd’hui avec ce guide qui est « de définir les entreprises de l’ESS au sein d’un tout cohérent et intégré »  afin d’accroître l’efficacité de leur mobilisation dans le cadre de l’Agenda pour un travail décent. Dès lors, ce guide nous paraît devoir faire évènement.

En effet, si le guide reprend le constat partagé à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ESS « de réalités familières dont la notion n’est pas toujours bien connue ou communément comprise », il entreprend de dépasser l’obstacle en apportant des éléments pour, comme le dit son sous-titre, « construire une base de compréhension commune ».  Que de nombreux universitaires et experts internationaux de l’ESS aient contribué à cet ambitieux projet montre qu’il ne s’agit pas là d’une entreprise isolée mais d’un mouvement de fond plus général. Quelque chose qui tient donc d’une (re)fondation. C’est l’hypothèse que nous faisons d’une convergence vers une représentation unifiée de l’ESS à chacun des trois niveaux où elle intervient : celui des organisations professionnelles, celui des institutions politiques et celui, enfin, des mondes académiques et savants. Cette convergence n’est pas linéaire et n’est pas sans s’accompagner de débats y compris en France. Mais c’est bien à son aune que le guide 2010 de l’ESS du CIF-OIT constitue un évènement à l’échelle internationale.

C’est surtout le premier chapitre du guide qui nous intéressera ici puisqu’il est consacré à relever ce défi herculéen de bâtir une compréhension commune de l’ESS. Il le fait en suivant une démarche qui se caractérise par trois temps successifs. Le premier est celui du choix de l’unité et de la méthode pour établir cette dernière. La cellule unitaire est l’organisation de l’économie sociale et solidaire (OESS) dont l’ensemble constitue l’ESS. La méthode consiste alors à partir des diverses sortes d’OESS (les coopératives, les mutuelles, les associations et les organisations communautaires, les entreprises sociales et les fondations) pour en établir les caractéristiques communes afin de faire émerger une représentation commune de l’ESS. Les caractéristiques communes dégagées sont les finalités qui sont économiques (la production de biens et services) et humaines en tant qu’elles répondent à des besoins humains, au travers de relations collectives qui sont de nature participative et solidaire.

Le second temps de la démarche produit une première ouverture du côté des autres notions associées pour englober les réalités décrites par l’approche en terme d’OESS suivie par le guide du CIF-OIT. Ce dernier montre alors que les autres notions associées (l’économie sociale, l’économie solidaire ou Economia solidaria, l’économie populaire, l’organisation à but non lucratif, le tiers secteur) permettent de comprendre les différences organisationnelles ou d’approches qui existent entre les OESS. Ces notions associées sont donc complémentaires de l’approche du guide.

Le troisième temps, prenant la forme d’encadrés, procède à une seconde ouverture de nature externe celle-ci. Elle déploie les frontières communes des OESS avec d’autres champs : ceux de la responsabilité sociale de l’entreprise, de l’économie informelle et aussi des mouvements sociaux et de la société civile.

Nous terminerons notre premier point de vue par le relevé de notre incursion dans le chapitre 3 consacré « au cadre politique du développement de l’ESS ». Nous avons entreprise cette incursion avec une petite idée derrière la tête puisque la chaire ESS-UPEMLV est en train de réaliser une étude sur l’ESS en Seine et Marne dont l’une des attentes concerne les préconisations à établir pour une politique efficace de soutien à l’ESS comme moteur de développement durable et inclusif. Ce chapitre 3 montre que l’ESS fait désormais l’objet de politiques publiques de soutien aux quatre coins de la planète, lui ouvrant de nouveaux horizons. Toutefois, au-delà de leur diversité traduisant les réalités différentes auxquelles elles se rapportent, ces politiques publiques pour être efficaces doivent, selon le guide de l’OIT, se tisser en co-production avec les acteurs, obéir à une « construction ascendante ». Ce chapitre insiste aussi plusieurs fois sur le déficit de conceptualisation de l’ESS qui constitue selon lui un handicap pour le développement de politiques publiques de soutien à l’ESS. Il indique même que « des contradictions existent dans la manière dont l’ESS est conceptualisée » et ajoute « qu’aucun consensus n’a encore été trouvé en matière de conceptualisation de l’ESS ». C’est l’indice que si une convergence se manifeste bel et bien pour une représentation unifiée de l’ESS, celle-ci connaît un retard dans le champ académique. Il est dû nous semble t-il à ce qu’exige une conceptualisation unifiée de l’ESS qui passe par la possibilité de penser ce « tout cohérent et intégré ». Le guide de l’ESS du CIF-OIT a entrepris cette tâche en adoptant une démarche pragmatique débouchant sur une sorte d’idéal-type. Elle doit être complétée, selon nous, par une démarche universaliste qui a vocation à substituer au concept de marché celui d’économie sociale et solidaire pour penser une économie au service de l’Humain. C’est une des ambitions de la chaire ESS de l’UPEMLV que d’entreprendre cette tâche que nous allons dorénavant continuer sous l’aiguillon du guide de l’OIT de l’ESS dont tous les chapitres sont à découvrir et à faire fructifier.

 

* CIF-OIT : Centre International de Formation de l'Organisation Internationale du travail 

Hervé Defalvard